le rempart.

© TUMBLR - VANESSA PARADIS.

Pete arpentait Effie Street, les mains dans les poches, tirant sur sa cigarette entre deux inspirations. Il entra finalement dans le Nylon Coffee Shop, où il avait donné rendez-vous à l'écrivain du roman sur lequel il aurait à travailler. Il balaya la salle du regard, perplexe en constatant que le romancier n'était pas arrivé. Il jeta un coup d'oeil furtif à sa montre avant de se décider à commander un café noir, s'installant à une table donnant vue sur l'extérieur. Face aux allées et venues des passants, il repéra dans la mêlée une silhouette étrangement familière. Arquant un sourcil, le jeune homme abandonna sa place afin d'aller à sa rencontre. Ses cheveux blonds descendaient en cascade dans son dos, et sa jupe élégante affinait sa taille naturellement élancée. Il aurait aimé se tromper mais à l'évidence, sa présence était bel et bien réelle. Il lui tapota maladroitement l'épaule en arrivant à sa hauteur. – Sara. Qu'est-ce que ? Finit-il par répliquer, se laissant submerger par la confusion. Son interlocutrice, au contraire, ne semblait guère décontenancée par cette situation incongrue. – Je suis d'ici, maintenant. Il discerna un sourire timide creusant discrètement ses fossettes, et il ne put s'empêcher de sourire en retour. – On ne s'est jamais croisé. S'étonna-t-il, toutefois sans conviction. – Il n'y a que six mois et on est débordé par les préparatifs du mariage. – Tu vas te marier ? Tu disais que ce n'était qu'un papier, à l'époque. Pete tombait littéralement des nues. S'il avait espéré un jour la revoir, il n'aurait en revanche jamais cru possible d'être témoin de cette annonce soudaine. Depuis le départ de son père, Sara s'était fermée à l'éventualité de s'offrir ce qu'un individu sensé appellerait le plus beau jour de sa vie. Pete ne parvenait à savoir s'il était heureux pour elle ou s'il était déçu d'avoir manqué les années précédentes, de n'avoir pu se fabriquer de souvenirs d'elle après le lycée. – On disait beaucoup de choses, à l'époque. Toi, tu disais que tu ne t'éloignerais pas de moi. Tu me l'avais promis. Sa remarque sonnait comme un reproche, une plainte. Elle enroulait les pans de son écharpe dans ses doigts, dont l'un brillait par l'anneau argenté que son fiancé lui avait acheté, et le feu lui montait aux joues. – Certaines promesses sont plus difficiles à tenir que d'autres. Mon père s'effondrait sous les dettes. On n'avait plus le choix. Il tenta de s'excuser comme il le pouvait, avec son orgueil et sa fierté mal placée. Il aurait voulu la serrer dans ses bras, la rassurer et lui dire que désormais, il resterait à ses côtés, mais l’ambiguïté que provoquerait cette étreinte n'était, dans pareilles circonstances, pas envisageable. Il osa tout de même repousser une mèche qui brouillait son regard, et la proximité de leurs lèvres, de leurs souffles, les troubla un instant. – Le temps te reconnait au moins un mérite : Tu n'as pas changé de discours. Murmura-t-elle alors, agrippant fermement la poignée de son sac à main. – Non, en effet. Je n'ai pas changé. C'était rude, un peu cinglant. Difficile de s'enlacer, alors qu'ils avaient été si proches par le passé. Pete sortit un paquet de bonbons de sa poche, puisqu'il n'y avait plus désormais que les souvenirs pour les relier. Il lui tendit le sachet naïvement. – Un Red hots ? Sara consulta le message qu'elle venait de recevoir avant de relever la tête, acceptant la friandise. – Comme avant. Répondit-elle dans un chuchotement presque inaudible. Le goût des épices et de la cannelle dans leur bouche les rendit silencieux quelques secondes, avant que l'émotion, la nostalgie ne soit plus forte que l'envie d'en rire. Les yeux embués de larmes, Sara se confia à son meilleur ami. – Tu me manques, Pj. Ce dernier resta sans voix, ses sentiments esquissant une valse lente dans sa tête. Elle marqua une pause avant de risquer une question délicate. – Est-ce que tu voudras bien m'accompagner à l'autel ? Pris au dépourvu, Pete plissa le front. Son rendez-vous le salua de la main en pénétrant dans le café. – Je serai là. Affirma Pete, lui rendant son signe. Quand il fut conscient de ce qu'un tel engagement impliquait, il était trop tard pour reculer. Déjà, il n'avait plus que trois mots pendus à ses lèvres. - Pardonne-moi, Sara. D'avoir été aussi lâche que son père, absent au mauvais moment. Mais par-dessus tout, de l'avoir manqué elle. Ses joies, ses tristesses, ses peurs, ses bonheurs. Elle tout simplement.